Réchauffement climatique : le monde des finances passe au vert

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L’avènement de l’ère du développement durable

Classiquement, l’économie et l’écologie sont perçues comme étant deux domaines foncièrement incompatibles. Pour reprendre les termes employés par l’économiste Roger Guesnerie, on observe une contradiction entre l’intuition écologique et la raison économique. La première vise à amener l’attention sur le long terme en observant des tendances climatiques sur plusieurs milliers d’années, alors que la seconde est portée sur le court terme avec par exemple des indices boursiers quotidiens, ou des investissements dont la rentabilité est calculée à l’échelle de quelques années seulement.

De prime abord, le temps court de la logique financière s’oppose donc fondamentalement au temps long de la préoccupation environnementale. Mais à partir des années 1980, l’introduction de la notion de développement durable dans les politiques publiques conduit à penser une conciliation entre ces deux modes de pensée antagonistes. On reconnaît progressivement que la logique économique qui a largement prévalu dans l’activité humaine a produit un impact certain sur les changements climatiques observés ou présagés par les scientifiques. Longtemps considéré comme une simple externalité négative, alors peu prise en compte dans les calculs économiques, cet impact prend petit à petit une dimension éthique à travers la consécration d’une responsabilité environnementale. On entre alors dans un nouveau paradigme fondé sur la nécessité d’enclencher une transition écologique vers une économie moins polluante caractérisée par une croissance dite verte.

Selon le rapport Brundtland établi par l’ONU en 1987, le développement durable consiste en la capacité à « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». La conciliation entre finance et écologie repose ainsi sur un souci international et intergénérationnel, notamment celui de préserver la qualité de l’environnement perçu comme un bien commun. L’intégration théorique de cette composante de long terme dans l’analyse économique peine cependant à gagner la pratique. Les contraintes écologiques sont en effet mal reçues par les industriels, et longtemps évitées voire discréditées sous-couvert de considérations climatosceptiques. L’un des premiers enjeux est donc de rendre ces mesures acceptables ou mieux, attractives, aux yeux de ces acteurs, car leur inertie rend impossible tout changement en faveur d’un développement plus durable. Et si la démarche punitive des autorités politiques ne présente pas de véritable effet dissuasif, les acteurs financiers ont compris qu’ils avaient un rôle important à jouer dans cette transition.

La sensibilisation écologique du monde des finances

En tant que chargés de l’allocation du capital dans tel ou tel domaine, les membres du secteur financier constituent en effet un élément clé de la transition écologique. A mesure que les climatologues sommaient les pouvoirs publics d’agir face à la menace environnementale, le monde de la finance s’est donc assez naturellement emparé de cette problématique.

A cet égard, l’année 2015 marque une étape importante dans la nouvelle marche à suivre. D’un point de vue politique d’abord, l’adoption de l’agenda des Objectifs de Développement Durable au niveau de l’ONU puis la signature de l’accord de Paris à l’occasion de la COP21 semblent consacrer une véritable entente, même relative, dans le cadre de la coopération internationale pour le climat. Ensuite du côté des finances, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a prononcé un discours historique on ne peut plus alarmiste, signifiant officiellement l’entrée des enjeux climatiques au centre des préoccupations de la finance mondiale. S’adressant aux investisseurs britanniques, il y annonce que le système financier s’expose à une catastrophe sans précédent : « les problèmes que représente aujourd’hui le changement climatique sont sans commune mesure avec ceux qui pourraient se présenter à l’avenir [et] une fois que la question du changement climatique sera devenue déterminante pour la stabilité financière, il pourrait bien être déjà trop tard ».

« La conjonction du poids des preuves scientifiques et de la dynamique du système financier laisse penser que, avec le temps, le changement climatique finira par menacer la résilience de la finance et à plus long terme, la prospérité. Même s’il est encore temps d’agir, la fenêtre d’opportunités est limitée et se referme. » Le message est clair : désormais, les données environnementales doivent impérativement être prises en compte par les investisseurs et les banques dans leurs décisions, afin de limiter les risques financiers et extra-financiers liés au réchauffement climatique et aux perturbations météorologiques. Il est donc essentiel d’orienter les investissements vers des projets plus en accord avec les exigences écologiques de l’époque, l’objectif final étant de soutenir la mise en place du développement durable que la communauté scientifique appelle de ses vœux.

La finance comme levier de la transition écologique

Ainsi pour la première fois de l’histoire, le réchauffement climatique est aujourd’hui vécu comme un risque financier par les acteurs du secteur. Ceux-ci réalisent qu’il y a un véritable risque à ne pas agir, et donc qu’ils ne peuvent plus se contenter de suivre passivement les mouvements de l’économie réelle pour allouer le capital. Cette prise de conscience se manifeste notamment par l’introduction des investissements d’impact dans leurs objectifs. A la différence des investissements socialement responsables, vieux de quinze ans et qui n’exigeaient qu’une simple considération des critères écologiques dans les décisions, ces investissements d’impact accordent autant d’importance aux rendements financiers qu’aux réponses qui sont données aux défis environnementaux de la société. Et s’ils ne représentent encore que des montants très faibles – environ 2% des encours mondiaux – ils connaissent néanmoins une croissance extrêmement rapide.

A l’instar des penseurs économiques qui s’efforcent de concilier l’économie et l’écologie dans leurs travaux, les acteurs financiers cherchent désormais à conjuguer rendement et préservation de l’environnement dans leurs prises de décision. Ils agissent dès lors en faveur de la transition écologique via plusieurs leviers. Tout d’abord, il leur est possible de faire pression sur les entreprises par le biais de l’actionnariat pour qu’elles soient plus transparentes, donc plus coopératives en matière d’écologie. C’est d’ailleurs ce que préconisait Mark Carney dans son discours. Ainsi, la compagnie pétrogazière ExxonMobil s’est vue imposer en 2017 l’établissement d’un rapport sur les risques de son activité liée au réchauffement climatique. Ensuite, on assiste à un certain désinvestissement des activités les plus polluantes. Il s’agit concrètement de couper les vivres aux entreprises les plus émettrices en gaz à effet de serre, en particulier celles chargées de l’extraction des énergies fossiles. On observe dans le même temps un verdissement des investissements avec l’explosion du marché des green bonds, sur lequel les entreprises ou les Etats émettent des obligations pour demander le financement d’innovations relatives aux énergies renouvelables et aux transports propres par exemple.

En tout état de cause, le dessein du monde des finances est donc de ré-allouer le capital vers une économie moins carbonée afin d’amoindrir le changement climatique et les risques qui en découlent. Dans cette perspective, les acteurs financiers qui sont à l’origine de ces mouvements de capitaux constituent de véritables moteurs de la transition écologique, amorçant les rouages vertueux du développement durable et de la croissance verte.

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